Les traditions fromagères

                 

Il n’y a pas de date précise sur le début de la fabrication du fromage de Bethmale mais on peut penser que cela correspond avec le début de l’élevage bovin.

La vallée de Bethmale avait, comme la vallée du Biros, la particularité de faire du fromage de montagne. Dans le reste du Castillonnais on ne faisait que du camembert…

Le fromage était un moyen pour transformer le lait en un aliment qui se conserve durant plusieurs mois. Le fromage était donc fait toute l’année avant l’apparition des fruitières, l’hiver dans les villages mais aussi l’été pendant l’estive dans les cabanes ou abris des bergers.

La fabrication du fromage commence par la traite. Elle avait lieu le matin et le soir. Le fromager récupérait le lait dans un récipient appelé lérou en étant assis sur un petit tabouret, le banquet. A Bethmale le lérou était fait d’une manière particulière ; il était fabriqué à partir d’un tronc de sapin qui avait été coupé à moins d’un mètre du sol ; la sève en continuant d’affluer permettait de durcir l’aubier. Le cœur lui, pourrissait et au bout de quelques années il suffisait de le couper, d’enlever le cœur, d’ajouter un fond. Le forgeron fixait une poignée en bois à l’aide de cerclages métalliques et l’on obtenait ainsi un lérou des plus solides.

Dans la vallée d’Oust une autre manière ingénieuse était utilisée. Ils creusaient le lérou dans un tronc courbé (souvent dans des arbres en crosse, fréquent dans nos vallées), ce qui leurs permettaient de traire assis sur le lérou.

Après la traite le lait était versé du lérou dans le tus (récipient à partir duquel on va faire le fromage et/ou le beurre). En même temps que l’on transvasait le lait on le filtrait à l’aide du couladé, bol percé où l’on mettait, soit des orties, soit de la paille pour filtrer.

Ensuite on faisait cailler le lait. D’abord on le faisant chauffer au coin du feu à une trentaine de degrés puis on y mélangeait de la présure. La présure était extraite de la caillette d’un jeune ruminant qui n’a bu que du lait. On pouvait aussi utiliser certaines plantes tel que le gaillet, artichauts sauvages, grassette. Lorsque le lait était caillé, on le coupait avec la toudeilho  (fouet fabriqué à partir de l’extrémité d’un sapin scié sous le départ des dernières branches). Ensuite on ramassait le caillé à l’aide de la cosso (louche) pour le mettre à égoutter sur l’aspaoumé (couvercle du tus).

On utilisait après le hourmagéro (sorte de serre pâte) pour donner la forme finale au fromage avant le séchage. Le hourmagéro est un instrument spécifique à la vallée de Bethmale, il mesure 20 à 30 cm de long, 10 cm de large et 10 cm de haut en moyenne. Chaque hourmagéro est unique. Pour que le petit lait parte en pressant la pâte, il devait y avoir des rainures sur l’outil, qui sont devenus des dessins, des noms, des dates… purement pour l’esthétique de l’outil car sur la pâte molle et mouillée aucun dessin ne subsiste.

On utilisait par la suite des moules fabriqués en bois pour mieux presser la pâte.

Le fromage était salé puis il s’affinait, environ deux mois, jusqu’au moment où il partait pour la vente ou pour la consommation familiale.

Le fromage de la Houle est un fromage entouré de mystère dont la recette en dit long…

On utilisait du caillé laissé à égoutter plusieurs jours pendu au plafond dans un linge. On glissait ensuite ce vieux caillé dans une houle réservée à cet usage. C’était un pot en terre percé au fond pour permettre au petit lait de s’échapper. On y mettait donc le caillé avec de la crème de lait, on salait, poivrait et on remuait. Puis on recouvrait le tout d’eau de vie pour éviter que les mouches n’y aillent. La houle était fermée avec un linge épais en lin. La préparation était laissée à macérer et était remuée à la cuillère de temps à autre. Plus on laissait le fromage dans la houle, plus il prenait corps. On le sortait à la cuillère et on l’étalait sur une tranche de pain.

Certains disent qu’ils en avaient les larmes aux yeux en le mangeant, tellement le goût était…ardent

Le beurre a aussi fait partie des moyens pour valoriser et conserver le lait.

On laissait reposer suffisamment le lait pour pouvoir ramasser la crème sur le dessus du lait à l’aide du cuihe (cuillère à écrémer). Puis on la passait à la era buriero (baratte). Quand le beurre avait pris, on le retravaillait avec deux palettes ou en le faisant sauter dans une assiette. On lui donnait une vague forme et …on se dépêchait de le manger car il ne se conservait guère plus d’une semaine. Pour le conserver un peu plus longtemps on pouvait le saler et le mettre en pot.

On sait qu’à certain moment on faisait du fromage et du beurre avec le même lait mais il est évident que la qualité des fromages était bien meilleure lorsque le lait n’avait pas été écrémé.

                  Les fruitières

La fruitière communale de Bethmale fut inaugurée le 26 août 1891 entre le village de Samortein et le village d’Ayet. Ce bâtiment est devenu l’actuelle mairie de la commune de Bethmale.

La construction de la fruitière fut subventionnée par l’état et les Eaux et Forêts. Les dépenses prévisionnelles pour la construction de cet établissement étaient de 8500 Fr., les subventions du département et de l’état s’élevèrent à 4500 Fr., il ne restera à la charge de la commune que 4000 Fr. à emprunter. Finalement le projet coûta aux alentours de 13000 Fr. pour la construction et 8000 Fr. de plus pour l’achat du matériel. L’état subventionna cette fruitière largement au-delà des prévisions. La présence de M. DOMENC aura été un atout important pour les subventions, la politique étant très influente : « DOMENC est un des principaux membres de cette société coopérative à laquelle il ne cesse de donner ses soins et toute son activité. Il est de plus, l’un des meilleurs républicains de cette commune. » (Conseil Général au Sous-Préfet)

Le 1er octobre 1891 une Société Coopérative de Production et de Consommation est créée pour exploiter cette fruitière.

Elle comprend 80 membres dont le président qui est DOMENC Jean « Pero ». Chaque membre doit verser une cotisation tous les ans afin de rembourser l’emprunt de la commune et d’avoir un fonds de roulement pour la société.

Cette fruitière fonctionna comme cela jusqu’en 1897, mais déjà au bout d’un an de fonctionnement certaines personnes étaient mécontentes. Elles se plaignaient du prix auquel le lait était acheté. La société ne fonctionnait plus qu’avec huit associés. L’opposition souhaitait voir une nouvelle forme d’exploitation de cette fruitière communale.

Une autre société d’exploitation est créée le 8 décembre 1897, la Société Coopérative Civile Fromagère et Beurrière de Bethmale.

En fait en plus des désaccords sur le fonctionnement de la fruitière, ces deux sociétés représentent les deux clans politiques de la vallée, avec d’un côté les républicains de la première société qui sont soutenus par le gouvernement et les Eaux et Forêts, et de l’autre côté les réactionnaires traditionalistes alliés au prêtre.

Les statuts de la deuxième société sont définis par 24 articles, elle fonctionnera avec :

  • Un président
  • Un administrateur qui sera seul, chargé de la vente des produits de la fruitière soit à des tiers étrangers soit aux associés selon des conditions réglées par la commission.
  • Un secrétaire
  • Un trésorier
  • Une commission de surveillance
  • Un fruitier qui sera choisi chaque année et qui devra effectuer la fabrication du beurre et du fromage.

« Le fruitier sera logé, chauffé, éclairé dans les dépendances du chalet affectées à cet usage, et aux frais de la société. C’est à lui que le lait devra être remis par les sociétaires. Le lait sera mesuré par lui avant d’être versé dans la chaudière commune, et la quantité fournie par chacun des associés sera aussitôt consignée sur un registre à ce destiné, et sur le carnet particulier du sociétaire.

Le fruitier a, en outre, pour mission de vérifier le lait et de refuser celui qui, après vérification, ne lui paraîtrait pas pur et exempt de tout mélange pouvant altérer la qualité.

Il signalera immédiatement à l’administration le ou les sociétaires qui auront falsifié un lait ou additionné de l’eau. »

C’était rare mais il pouvait arriver que certains essayent de tricher sur la quantité ou la qualité. En rajoutant de l’eau, en ayant préalablement retiré de la crème pour le petit déjeuner, ou au contraire en y ayant remis le lait bouilli restant du petit déjeuner. Quand le lait était « allongé » d’eau, il prenait vite une teinte bleuâtre facilement identifiable. S’il paraissait suspect, on le mettait de coté pour le tester. Pour cela, on disposait d’un verre gradué ou on laissait reposer le lait. La quantité de crème relevée dénonçait la fraude.

Il existait même des contrôleurs qui venaient sans prévenir. Ces jours là, la nouvelle faisait vite le tour et on voyait certains rebrousser chemin avec leurs seaux au bout des bras. On raconte même, que dans une vallée voisine, une personne qui découvrit en arrivant à la fruitière la présence du contrôleur fit mine de trébucher et renversa son lait pour éviter que la fraude ne soit découverte…

Après la fabrication et la vente des fromages et du beurre, il fallait redistribuer le produit de ces ventes. Pour cela une réunion, annoncée par le crieur municipal à la sortie de la messe aura lieu tous les premiers dimanches de chaque mois à la fruitière.

«  Dans cette réunion, qui sera présidée par le maire ou son adjoint délégué, l’ensemble des associés prendra connaissance des opérations de la fruitière pendant le mois écoulé. L’administrateur fera un rapport oral sur le marché de la société et fera connaître au moyen de livres de comptabilité la quantité de lait fourni par chacun des associés, la quantité de beurre et de fromage fabriqués, la quantité des produits vendus au comptant ou à terme et la quantité restant au magasin. La répartition du produit des ventes, arrêtée au préalable par la commission de surveillance, sera faite séance tenante par le trésorier entre tous les sociétaires au prorata du lait fourni par chacun.

Les pertes, s’il en existait, seront réparties dans les mêmes proportions. »

Malheureusement le fonctionnement des deux sociétés sur une même fruitière est très difficile et cela devient rapidement problématique. Fin 1897 l’intervention de la police fut nécessaire pour éviter « de graves désordres ».

En février 1898, après des efforts successifs pour rétablir la société coopérative de façon satisfaisante, on aboutit à un compromis difficile où les deux sociétés partagent l’utilisation de la fruitière. Une société devait exploiter la fruitière le matin jusqu’à midi et l’autre l’après midi cela durant une semaine et vice versa la semaine suivante.

En novembre 1898, il était clair que le compromis ne pouvait plus durer et les efforts coopératifs prirent fin.

La fruitière GASTON « Jamillou » à Aret.

C’était une petite production familiale dirigée par GASTON Jean. Elle commença à vendre des fromages officiellement qu’à partir de 1920. Cette fruitière se situait dans une maison donnant sur la place du village, puis dans la maison actuelle de son fils Yves. Il commença par transformer le lait de sa propre production puis récupéra le lait de quelques producteurs d’Aret. Contrairement aux autres fruitières de la vallée il n’a jamais produit de beurre. Il vendait sa production à des particuliers de Sentein, à la Bellongue en passant par Castillon. La fruitière était une activé complémentaire à son statut principal d’agriculteur. La production cessa en 1964.

La fruitière CAU « Bitaly » à Ayet

Elle fut créée en 1891, la même année que la fruitière communale. En tant qu’entrepreneur Jean CAU participa à la construction de la fruitière communale ainsi qu’à l’acquisition et à  l’installation du matériel y compris des conduites d’eaux. Jean CAU n’avait pas de terres. Il fallait donc qu’il trouve des moyens de subsistances, la fruitière en fut un ainsi que son activité de maçon. Il créa également une petite centrale électrique en 1906, à Ayet, dont il revendait le courant, ainsi qu’une scierie.

Cette fruitière fonctionnait avec le lait d’Ayet au début. Ensuite elle récupéra aussi le lait des villages de Tournac, d’Arrien et de Villargien qui était collecté par M. FARIN, puis celui d’Aret lorsque M. GASTON arrêta sa production. Ils fabriquaient en moyenne, en fonction des mois de l’année où ils produisaient, 6 fromages de 7 à 8 kg par jour dans les années 1960. Lorsque l’on sait qu’il fallait à l’époque environ 10 l. de lait pour un kilo de fromage, cela veut dire qu’ils transformaient en moyenne 500 l. de lait par jour.

Le lait arrivait le soir et la fabrication du fromage se faisait la nuit, parfois jusqu’à très tard voir tôt le matin…

Cela consistait à mettre le lait dans le chaudron en cuivre (ils en avaient deux : un de 250 l. et un de 400 l.) et à le faire chauffer jusqu’à 32 °C. Ensuite on y ajoutait la présure et on le laissait reposer une demi-heure. Puis on le « toudeillait » pour séparer le petit lait du caillé et on le chauffait de nouveau un petit peu. On obtenait ainsi une masse qu’il ne fallait surtout pas déchirer. On la coupait en cubes qu’on égouttait à l’aide d’une toile de jute. On les mettait dans des moules pour les presser et leurs donner leurs formes finales. Ils restaient dans ce moule jusqu’au lendemain. On les retournait juste avant d’aller se coucher. Puis on les salait pour partir dans les caves d’affinage qui pour les « BITALY » étaient à l’autre bout du village …

Ils fabriquaient également du beurre avec le petit lait qui leur restait. Ils faisaient des tablettes de beurre de 250 gr pour les particuliers et des gros pains de 4 à 5 kg pour les pâtissiers et restaurants.

Au maximum de la production dans les années 1950 ils travaillaient à trois, le père, le fils et un ouvrier. Après la fabrication du fromage il y avait l’affinage. On le lavait tous les deux jours à l’eau salée et cela pendant plus ou moins longtemps en fonction de la période de l’année où il était fabriqué. L’affinage pouvait prendre jusqu’à huit mois pour les fromages fabriqués au mois de novembre.

La famille ne vivait que de cela. Ils vendaient leur fromage dans les vallées alentours, aux mines de Sentein, aux foires de Castillon et de St Girons, mais aussi à l’autre bout de l’Ariège, à Tarascon, aux hôtels de Foix et aux talcs de Luzenac…

La production cessa lorsqu’il n’y eut plus assez de lait dans la vallée en 1989.

La fruitière DOMENC « Pero » à Samortein.

La famille DOMENC (Péro) après avoir exploité la fruitière communale a continué cette activité dans ses propres locaux près de la maison familiale à l’entrée de Samortein. A ce moment là c’est Ernest DOMENC qui dirige l’entreprise.

Le procédé de fabrication du fromage était sensiblement identique avec la fruitière de M. CAU « Bitaly ». Ils travaillaient également à trois le père, le fils et un ouvrier.

Il transformait le lait des producteurs de  Samortein et de quelques uns d’Aret. Il possèdait lui-même quelques vaches laitières. Quand les producteurs portaient le lait, ils récupéraient le petit lait de la veille pour nourrir leurs cochons comme dans les autres fruitières de la vallée. La commercialisation du fromage se faisait au début à l’aide d’une carriole tiré par un cheval qui l’emmenait de Castillon jusqu’à Sentein.

A partir de 1929 l’achat d’une camionnette lui permis d’aller jusqu’à St Girons.

En 1936 ils fournissaient les cantines des mines de Sentein.

Les fromages étaient également vendus hors du département : à Toulouse, Marseille, Nice et Paris à des détaillants et aux halles centrales. Les expéditions étaient réalisées par des transporteurs dans des caisses en bois aérées.

La majorité du chiffre d’affaires était réalisée en été.

Au milieu des années 1950, lorsque le fils René commença à travailler à la fruitière il voulut augmenter la production.

Pour cela il fit venir du lait de la coopérative laitière de Mane. Il dût également trouver de nouveaux débouchés. Cette fruitière devint la plus importante de la vallée. Elle possédait même une machine pour emballer automatiquement le beurre.

Au cours de toutes ces années la famille DOMENC reçut de nombreuses récompenses pour la qualité de son fromage. La fin de la fruitière fut assez mouvementée. Des désaccords dans la famille ont fait que le fonds de commerce (l’enseigne, le nom commercial, la clientèle ainsi que la marque de fabrique déposée «  Le montagne de Bethmale ») a été vendu à la société des fromageries Faup (M. LEMASSON) par Ernest DOMENC en 1979.

La dernière fruitière à Bethmale a fermé en 1989 mais sa succession n’est pas arrivée très longtemps après…

La fruitière en société coopérative a été un échec, tout comme d’ailleurs la plupart de celles établies en Ariège. Cet échec est principalement dû à des luttes traditionnelles entre clans qui mêlaient des histoires familiales, politiques et religieuses… Cette expérience permit tout de même d’améliorer « le traditionalisme matériel et intellectuel de la commune ». Il y a toujours des descendants de la famille DOMENC qui continuent à faire du fromage et à en vivre…

                  Les fromageries actuelles

Il existe maintenant de nombreuses fromageries (le terme de fruitière a disparu dans nos montagnes) dans tout le Castillonnais, qui font du fromage de montagne.

Pour ce qui est du fromage de Bethmale on trouve encore trois fromageries, qui ne correspondent pas aux trois fruitières d’antan. Les règles d’hygiènes imposées par l’état et l’Europe ont obligé les fromageries à se moderniser et donc à grossir afin de rentabiliser les achats de nouveaux matériels. Ce sont toutes les trois des industries qui n’ont plus grand chose à voir avec l’image du fromager dans sa cabane…

Le procédé de fabrication du fromage actuel est sensiblement identique dans les trois fromageries.

Le Bethmale est un fromage au lait cru fabriqué exclusivement avec du lait chauffé au maximum à 40°C. Il garde une saveur riche et typée. A l’origine, tous les fromages étaient fabriqués avec du lait cru. La fabrication à partir de lait cru (au lieu de lait pasteurisé) est totalement manuelle : moulage, salage, lavage en cave tous les deux jours avec de l’eau saumurée. Le résultat est une personnalisation des fromages au niveau aspect, texture et goût.

En revanche les fromages pasteurisés sont des fromages dont le lait est chauffé à 72°C pendant 20 à 30 secondes pour détruire les germes. Les fromages ainsi obtenus ont une saveur variant de neutre à douce et peu typée.

Comme la pasteurisation détruit les bactéries néfastes mais aussi la plupart de celles qui sont nécessaires à la fabrication des fromages, on réensemence le lait avec des bactéries lactiques sélectionnées. Toutefois ces bactéries, produites par des cultures industrielles, n’ont pas la richesse et la variété des ferments d’origine. Elles ne permettent pas au fromage d’acquérir une saveur équivalente à celle obtenue avec ses bactéries d’origines.